(Eglises, chapelles, oratoires)

(Sources Patrimoine religieux : Archives départementales de la Corse du Sud et documents cités supra dans les notes et références.)

En 1522, l’église de San Mighele de Letia est citée pour la première fois comme chapelle rassemblant la communauté de Letia. Elle apparait comme "Capella" dont elle porte le titre(37).

Cette église, aujourd’hui disparue, était excentrée par rapport aux deux hameaux. Pour accéder à son ancien emplacement, il faut, après avoir quitté le hameau de Cugugnana, franchir le ruisseau de l’Erbaghju au lieu-dit « Ponte a u Fiume ». On gravit ensuite les « scale», larges marches pavées de pierres, pour emprunter un chemin, que monseigneur Mascardi décrira, en 1589, comme «montuosus ». Ce chemin est bordé de murs, aujourd’hui écroulés, dont les pierres jonchent le sentier qui mène jusqu’au lieu-dit « Campanile ».

L’arrivée sur le site de San Mighele s’effectue ensuite par un chemin plat également bordé de murs qui donnent encore une certaine majesté à ce lieu.

Les natifs de Letia indiquent qu’ils éprouvent de l’émotion en arrivant sur ce site qui conserve une partie de la mémoire de la communauté chrétienne qui se rassemblait là pour les cérémonies religieuses.

Ce lieu, chargé d’histoire, interpelle les visiteurs qui retrouvent là le décor d’un passé auquel leurs mémoires ont été familiarisées par les récits entendus dans l’enfance.

Ce passé, quelquefois idéalisé ou sublimé, n’était d’ailleurs pas incompatible avec ce qui était conté par ailleurs aux enfants sur la misère et les tragédies vécues par leurs ancêtres.

Letia comme l'ensemble de la région a été réprimé en 1459 par Antonio Spinola, alias « Antonio Calvo » chef de guerre à la solde de l’Office génois de Saint Georges, parce que le village avait soutenu, comme les autres communautés du vicolais, la révolte des seigneurs de Cinarca.

Comme l’ensemble du vicolais, la Cinarca et le Sia, en 1489, Letia sera à nouveau saccagé puis incendié et les habitants chassés, au titre de « la desabitazione » par Ambroggio de Negri, au cours de la deuxième guerre menée par l’office de Saint Georges contre Giovan Paolo di Leca. Le mercenaire français De Falcon, au service de Gênes, achèvera de détruire le village lors de la première défaite de Jean Paul de Leca en 1497, puis à nouveau en 1501 après l’échec définitif du même Jean Paul de Leca.

Enfin, le dernier saccage, complété par une nouvelle « désabitazione » sera le fait en 1503 des troupes de Niccolo Doria, commandant dès  1502 un corps expéditionnaire génois de 900 hommes débarqué à Ajaccio pour finir de réprimer la révolte initiée par Jean Paul de Leca de 1501 et poursuivie par Rinucciu della Rocca jusqu’en 1504. Niccolo Doria agissait sous l’autorité de Geronimo de Moneglia, commissaire de la Sérénissime à Ajaccio. Ce dernier saccage acheva la destruction du village, ou de ce qu’il en restait, par les « guastatori » de Niccolo Doria, mercenaires non combattants qui étaient affectés à la ruine des possessions des vaincus. Ces « guastatori » étaient redoutés pour leur cruauté, pour la destruction systématique des habitations et des biens ainsi que pour le massacre des troupeaux.

Or, malgré l’expulsion des habitants de Letia de leur village, en 1503, par Niccolo Doria ; expulsion assortie de l’interdiction de se rendre sur les lieux de leur ancien séjour sous peine de mort, l’église San Mighele est, en 1577, de nouveau fréquentée. On ne sait si elle a été épargnée par les guastatori de 1503 ou si elle a été reconstruite après que les habitants aient reçu, en 1516, l’autorisation de revenir sur le territoire de leur village à la suite de l’intercession du chanoine de Sagone et pievan de Vico, Ghjuvan Francescu di e Cristinacce, auprès des « magnifiques directeurs du Banco di San Giorgio ». Dans une lettre de 1516, cet ecclésiastique demandait aux autorités génoises de bien vouloir laisser les habitants de Letia revenir sur leurs terres en excipant du fait qu’il venait d’être mis fin, ailleurs, à l’exil d’autres communautés qui avaient également subi la « desabitazione » . Pour conforter sa demande, le chanoine rappelait que lui-même et avant lui son père, étaient de fervents partisans de Gênes, qu’ils n’avaient pas élevé d’objection à la mesure de « désabitazione ». Il argumentait sa requête en indiquant que les habitants de Letia avaient fait l’objet de cette mesure, non pas parce qu’ils avaient manifesté une opposition violente à Gênes, mais plus prosaïquement parce que leur village se trouvait aux « confins de la montagne » et qu’il convenait, dans le contexte de l’époque, de vider celle-ci de ses habitants. Nb : (pour réponse stp) sommes nous dans la période ou les génois en veulent plus particulièrement aux niolins ?

Avec sa requête, le chanoine de Sagone demandait que la mesure d’interdiction soit rapportée au profit des 39 personnes originaires de Letia, qui en 1513, s’étaient rendus discrètement sur les lieux qui leurs étaient interdits, avaient ensemencé, cultivé et même récolté ; l’énumération de la nature de leurs plantations, la manière dont ils avaient travaillé le sol, le détail et le total des quantités récoltées figurent sur un tableau détenu à Gênes, aux archives du « Banco di San Giorgio ».

Ainsi, on apprend que certains avaient semé du blé, du seigle et de l’orge après avoir labouré avec leurs propres bœufs ou avec des bœufs loués à des moines de Rennu tandis que d’autres avaient préalablement défriché leur champ en se servant de la « marra ». La quantité totale de céréales récoltée était de 241 « mezzini » soit 1446 « bacini » ce qui donnait environ 37 décalitres par personne concernée. Ceci est, à l’évidence très loin des rendements actuels et correspond davantage à une économie de survie qu’à une économie de subsistance.

Il n’est pas précisé quelle a été la sanction infligée à nos ancêtres pour cette transgression à l’interdiction qui leur était imposée. Une indication mérite cependant d’être relevée : comme la liste des contrevenants figure dans le registre des tailles, il y a eu, au minimum, une sanction fiscale.

Selon la tradition, le hameau de Cugugnana était alors situé au lieu-dit Coju, à proximité de San Mighele et des « trè Funtane » qui coulaient à proximité. Ce récit, concernant l’implantation de l’ancien site de Letia, transmis oralement au fil des générations, n’a pas de valeur probante et ne permet pas, pour l’instant, de détecter des vestiges d’une occupation durable du site, ceci à l’exception de la découverte aux alentours du site de San Mighele de divers tessons de céramique et de poterie, dont un morceau de « conca », datés du 18ème siècle.

Il faut toutefois indiquer que les églises de cette époque n’étaient pas toutes situées à proximité d’un ensemble bâti. La chapelle romane de Santi Sari a été édifiée sur un lieu de passage, l’église Santa Maria di u Surbellu, érigée sur un promontoire, avait vocation à rassembler les bergers et leurs familles séjournant dans la haute vallée de Canale. Enfin la chapelle romane de la Catena a été construite à proximité du château du même nom bien après l’édification de celui-ci. L’exemple caractéristique de cette manière de construire des églises hors agglomération est constitué par l’église romane de San ghjuvanni de Cinarca. Située au centre de la vallée, visible de chacun des villages, elle était équidistante des agglomérations et accessible à tous sans difficulté majeure, tous les chemins convergeant vers elle.

San Mighele sera décrit en détail en 1589, par Monseigneur Nicolas Mascardi, évêque de Mariana et Accia qui a effectué une visite apostolique dans le diocèse de Sagone et s’est rendu dans les paroisses qui le composaient.

Concernant Letia, il a rédigé un rapport, en langue latine, indiquant qu’il s’est rendu à « l’église paroissiale Saint-Michel du village de Lethia» pour laquelle il indique que « l’église et son autel demeurent découverts et qu’ils doivent être mis à l’écart ainsi que cela a été consigné ». Cette phrase hermétique pour les profanes reçoit son véritable sens dans les préoccupations de son auteur visant à la conformité des pratiques religieuses aux prescriptions liturgiques. L’église de San Michele était rattachée à l’autre église du village, éloignée de la distance d’une «borne» par un difficile chemin de montagne (montuosus). Mascardi indique par ailleurs qu’il est «grandement nécessaire de construire une nouvelle église dans un endroit plus approprié ». Il ne précise pas si "l'autre église du village" était celle de Saint-Martin. Ceci parait toutefois vraisemblable parce qu’elle était la seule autre église de Letia, les autres édifices religieux étant des oratoires. Le rattachement de San Mighele à l’église de Saint Martin, et vice-versa, constaté par le visiteur apostolique Mascardi semble être le prélude au rattachement, en 1597, du bénéfice de San Mighele à l’église de saint Martin par le même prélat.

Monseigneur Mascardi, décrit « le matériel » existant à « San Mighele de Lethia ». Ces accessoires étant conservés dans une châsse ouverte et répertoriés sur une liste établie comme suit:

• un calice comprenant la coupe et sa patène en argent;

• un missel romain;

• une chasuble en étoffe verte avec son étole et son manipule;

• une aube avec son amict et son cordon;

• un drap de tissu rouge, très usé et très vieux;

• un gonfalon de taffetas rouge (Omersino) c’est à dire armoisin;

• une boite pour les hosties;

• trois purificatoires;

• trois nappes en mauvais état («vilaines nappes»).

Cette description de San Mighele se termine par une précision sur le cimetière. "Il y a autour de l’Église un cimetière entouré d’un mur en pierres sèches, mais il n’est pas conforme".

Monseigneur Mascardi, dans sa relation écrite de sa visite à Lethia, a indiqué qu’il s’est également rendu à l’Oratoire Saint-Jacques « qui se trouve à proximité des maisons de la paroisse » et pour lequel il précise que « l’on célèbre parfois l’office à l’oratoire Saint-Jacques, « par convenance », pour éviter à la « foule des paroissiens » de se déplacer à l’église de san Mighele éloignée du hameau. Il précise que « cet oratoire n’est pourtant en rien adapté à cet usage mais que les paroissiens ont besoin de se rassembler autour d’un autel pour y entendre les offices. L’oratoire sert ainsi pour l’administration de l’ensemble des sacrements, selon la pratique des prêtres et diacres qui administrent également ces sacrements ». Mascardi, gardien du rite, considère que cet usage constitue «une faute et une erreur totales».

Dans la relation qu’il fait de sa visite, Mgr Mascardi ne mentionne pas d’autre prêtre que le curé Griffonus comme desservant de la paroisse. Le concernant, il donne les renseignements suivants : « Nommé sous-diacre en 1559, diacre en 1560, prêtre en 1569. Il était rattaché à l’église du très révérend Hieronimo Leandro ». « Nous savons avec certitude qu’il était âgé de quarante cinq ans, lorsqu’il fut nommé dans l’ordre régulier en 1573, le sixième jour de juillet ». La nomination par « libre résignation» (terme de Droit canon) avait été décidée par le prêtre Petro di Vico qui dirigeait localement cet ordre régulier. Mascardi précise que « en retour il (Griffonus) reçoit soixante livres destinées à récolter le fruit de la terre ».

Le visiteur apostolique indique, et ce n’est pas banal, que : « dans cette paroisse vivent des personnes qui ne pratiquent pas la confession » et qu’il « n’y a pas d’inventaire des biens et droits de l’église, pas plus qu’il n’existe de livre de l’état des âmes ». Selon Mascardi, « Il y a des abus comme ailleurs. On ne prend pas un habit particulier et la tonsure cléricale n’est pas pratiquée, comme il faudrait, les jours de fête ». Par ailleurs, il note que « La population ne se rend que rarement dans cette église ». « Le prêtre (Griffonus) n’enseigne pas la doctrine chrétienne. Il « garde » chez lui une femme âgée. Le prêtre possède deux livres se rapportant au sort des âmes mais ne les comprend en rien ». Mascardi évoque la présence de la Confrérie et précise: « la confrérie existe mais elle ne respecte pas la règle, et jamais on ne se réunit».

Le visiteur apostolique conclut par une brève et édifiante mention sur « la Population ne fut pas interrogée car elle ne se montra pas ». Les constatations faites par le visiteur apostolique donnent de la chrétienté de Cugugnana une image qui n’est pas la meilleure. La population s’abstient d’accueillir l’éminent visiteur, l’église est peu fréquentée, les paroissiens ne pratiquent pas la confession, la confrérie ne joue aucun rôle et le desservant de la paroisse, qui n’est pas vêtu et tonsuré comme il conviendrait à un ecclésiastique, est à peu près illettré et mène, selon toute vraisemblance, une vie profane.

Par ailleurs, il ressort du compte rendu de la visite que l’église de San Mighele est isolée par rapport aux maisons du village, lequel se situe déjà à cette époque à son emplacement actuel. On note qu’un cimetière entoure l’église, que la manière dont il est clos ne reçoit pas l’agrément du visiteur apostolique, lequel ne mentionne pas l’existence d’une Arca. Enfin, on note que parmi les constatations faites par le visiteur concernant les défaillances du curé, il lui est fait grief de ne pas tenir de registre de l’état des âmes. Cette carence, qui ne semble pas émouvoir outre mesure le prélat, sonne le glas, quelques siècles plus tard, des éventuelles recherches généalogiques des originaires de la paroisse à la recherche de leurs ancêtres.. Le diable se niche vraiment dans les détails..

Le livre « Histoire de l’Église de Corse » de l’Abbé Casanova, tome premier (Des origines à la révolte de 1729) (chez l’auteur à Zicavo, 1931) cite l’année 1589, date de l’inspection de la paroisse de Letia par monseigneur Mascardi et indique simplement : « Letia, paroisse. En 1589, St. Michel Archange. Revenu: 60 livres ».

Les autres visites apostoliques qui ont été effectuées à l’église de San Mighele comme dans les autres sites religieux de Letia, ne manquent pas d’intérêt. Si les relations qui en ont été faites ne sont pas aussi détaillées et aussi savoureuses que la première du genre, elles n’en recèlent pas moins des éléments d’appréciation sur l’évolution, dans leur comportement, des communautés chrétiennes de Letia, plus particulièrement de celle de Cugugnana.

Visite de Mgr Spinola et de son délégué Ambrosio Ferrari : C’est par la relation écrite de la visite effectuée le 7 juin 1686, par monseigneur Spinola, visiteur apostolique, accompagné de son délégué Ambrosio Ferrari, que l’on apprend que la chapelle du hameau de Cugugnana est désormais dédiée à Saint Roch tandis que San Mighele demeure l’église paroissiale du hameau. Ambrosio Ferrari a pour sa part visité les églises et effectué un inventaire détaillé de l’oratoire Saint-Roch, et des églises de san Mighele et San Martinu, les 5, 6 et 7 juin 1686.

Le titulaire de l’église de san Mighele est alors le prêtre Angelo Maria Leca, originaire de Calvi, âgé de 30 ans et domicilié à Rennu. L’église a été « obtenue par concours » et le prêtre est muni d’une lettre de mission de la chancellerie de Sagone. Il dispose de 280 livres de bénéfice en monnaie de Gênes.

Lors de sa visite, le prélat a donné l’absoute après avoir remarqué la présence de quelques sépultures. Mais il a surtout noté que dans l’église de San Mighele il n’y avait ni Saint Sacrement ni tabernacle et que l’autel était dépourvu de croix. Pour ce qui est des ornements sacerdotaux il y a trouvé une seule chasuble rouge. Le visiteur a également constaté qu’il n’y avait pas de fonts baptismaux, une « conca », posée à terre en tenant lieu. Il a demandé à ce qu’ils soient installés dans les deux mois, sous peine d’interdit.

Dans la relation de cette visite épiscopale l’ancien oratoire Saint-Jacques est devenu l’oratoire Saint-Roch, tandis que l’église de san Mighele continue d’être citée comme église paroissiale de Cugugnana. « Elle se trouve à un demi stade de l’église paroissiale de Saint-Martin ». Pour accéder à San Mighele, il faut emprunter le même chemin, toujours aussi «montuosus » et raide.

Après cette visite, force est de constater que l’état de la chrétienté de Cugugnana ne s’est guère amélioré. L’église de San Mighele est certes desservie par un jeune curé doté d’un bénéfice mais celui-ci ne réside pas dans la paroisse dont il a la charge. Venait-il de Rennu chaque jour pour dire la messe comme prescrit ? On peut en douter. Exerçait-il son ministère à l’oratoire Saint Roch ? On ne sait. L’église de San Mighele se trouvait alors dans un tel état de dénuement que l’on peut se demander si le curé Angelo Maria Leca pouvait même y exercer son ministère. Une église dans laquelle il n’y a plus de tabernacle, de Saint Sacrement ni de vêtements sacerdotaux et dont l’autel est dépourvu de croix n’est-elle pas, de fait, désaffectée ? Ceci sans même évoquer la« conca » baptismale.. Comme il a été récemment découvert des tessons de poterie ancienne à proximité du site de San Mighele et qu’il y a parmi eux des éléments d’une « conca »,on peut tout imaginer..

Après sa visite épiscopale, effectuée le 27 juin 1698, monseigneur Costa rédige à son tour un compte-rendu de sa visite à Letia. En ce qui concerne la paroisse de san Mighele, il indique que l’Arca est dépourvue de fermeture correcte, car ses deux ouvertures sont obstruées par des bardeaux. Il précise qu’il interdit tout ensevelissement dans l’Arca tant que les ouvertures de celle-ci ne seront pas obturées par des dalles de pierre.

Monseigneur Costa retourne à Letia en 1702, le 17 juillet, et visite à nouveau les deux paroisses. Il indique que « la petite chapelle de saint Roch est située au centre du hameau de Cugugnana et qu’on y célèbre les offices les jours ordinaires, par commodité ». Il rend compte de la situation de San Mighele et précise que « les deux ouvertures d’Arca ont été recouvertes de pavements. Un tableau représente saint Michel entre saint François, à droite et sainte Claire à gauche. L’autel comporte quatre chandeliers et une croix de bois. Il précise : « canon peu correct ». Devant l’autel se trouve une estrade. Il y a même un confessionnal, mais le toit, qui est recouvert de bardeaux, est à réparer. Cette visite permet de constater que l’état de San Mighele a été amélioré depuis la précédente visite. Il semble même que les paroissiens se conforment désormais aux prescriptions de l’église et qu’un confessionnal leur permet de soulager leur conscience du poids de leurs péchés.. Les recommandations des visiteurs sont promptement suivies d’effet, les ouvertures de l’arca sont obturées. Seul, l’état du toit laisse à désirer. les bardeaux, « e scandule », ayant une fâcheuse tendance à se fendre.

Malgré l’amélioration de l’état de l’église San Mighele, un document des Archives départementales de 1703 indique cependant que la chapelle San Roccu lui est substituée comme église paroissiale.

Cette même année 1703, monseigneur Pinelli, délégué de monseigneur Costa, effectue le 27 juillet une visite pastorale à Letia. Il en rend compte : 1703- L’église San Mighele a été abandonnée au bénéfice de la Chapelle Saint-Roch, devenue l’église paroissiale du hameau et située en son centre.

C’est la formulation d’abandon qui revient souvent dans les textes concernant l’église de San Mighele qui intrigue. On ne sait pas quel a été le sort réservé au bâtiment disparu. A-t-il été démoli sur les instructions du clergé ou bien a-t-il été, après avoir été désaffecté, progressivement démantelé par les habitants de Cugugnana? Cette deuxième option est confortée par le fait que nombre de pierres, fort bien taillées à la manière de celles des églises romanes, figurent en réemploi dans les vieilles maisons de Cugugnana érigées postérieurement à 1703.

En 1726, le génois Pier Maria Giustiniani est nommé évêque de Sagone. Il succède à Agostino Spinola qui occupait ce poste depuis 1722. Spinola avait exercé les fonctions d’évêque d’Ajaccio de 1714 à 1722, date de sa nomination dans les mêmes fonctions à Sagone. Giustiniani demeurera évêque de Sagone jusqu’en 1741. Il décèdera en 1765.

Le recteur de Letia est alors Pietro Ceccaldi. A la fin du mois de juin 1727 il reçoit, comme les autres curés du diocèse de Sagone, une note du nouvel évêque qui lui fait part de la décision qu’il vient de prendre, le 15 du même mois, interdisant le port d’une lance ou d’un sabre pour l’ensemble des prêtres et desservants du diocèse.

Avant d’effectuer la visite épiscopale de son diocèse, l’évêque Pier Maria Giustiniani adresse, le 18 novembre 1727, un mandement à ses pievans pour leur annoncer sa visite. Pietro Ceccaldi est ainsi prévenu que monseigneur Giustiniani visitera, le 14 septembre, les deux hameaux du village de Letia. A son mandement, l’évêque de Sagone avait joint un questionnaire que chaque desservant était invité à remplir. Ce document concernait les mœurs de l’ensemble des paroissiens de la communauté dont il avait la charge. Nous n’avons pas connaissance des réponses fournies par le rettore Pietro Ceccaldi sur ce sujet délicat et c’est bien dommage. Nous aurions pu avoir le témoignage direct d’un observateur attentif de la vie quotidienne de nos ancêtres.

Le 14 septembre 1728, venant de Vicu sur une monture, monseigneur Giustiniani arrive à Letia pour effectuer la visite pastorale des deux paroisses de la localité. Il se rend à l’église de San Martinu dite de ponte in giù et, selon la relation écrite qu’il fait de sa visite, en l’église de Santa Maria, dite de ponte in sù, le lendemain 15 septembre. A noter que l’église de « ponte in sù » est, depuis des années, dédiée à saint Roch (C.F. visite de monseigneur Spinola et de son délégué Ambrosio Ferrari le 7 juin 1686) et qu’elle est église paroissiale depuis 1703.

Lors de cette visite, l’évêque Giustiniani va "donner les sacrements de la confirmation à 30 enfants du village". Il existe un compte rendu de cette visite à Santa Maria di Ponte in sù. L’évêque, "après avoir accompli à Santa Maria di Ponte in Sù les fonctions habituelles, a donné la bénédiction du saint sacrement et célébré l’office des morts". Il a "expliqué aux fidèles le sacrement de la confirmation et a confirmé les 30 enfants". Cette visite épiscopale est tout à fait conforme à la norme. . L’évêque a rencontré les paroissiens de Cugugnana pour leur expliquer le sacrement de la confirmation et a confirmé leurs enfants. Les mœurs des paroissiens paraissent avoir évolué favorablement.

La relation écrite de la visite épiscopale pose cependant problème. L’emploi de l’appellation de « ponte in sù » pour Cugugnana est pour le moins inhabituelle. La désignation de l’église paroissiale de Cugugnana par l’appellation d’église Sainte Marie intrigue encore davantage. Ces deux mentions laissent à penser que le rédacteur de la relation de la visite épiscopale n’y a pas participé personnellement…L’église que visite monseigneur Giustiniani au hameau de Cugugnana est désignée, pour la seule et unique fois à l’occasion de cette visite, par l’appellation de Santa Maria di ponte in su. Cela peut indiquer que l’église Saint-Roch ait pu être dédiée temporairement à la Vierge avant de reprendre le nom de son saint patron.. Il est également possible qu’un rédacteur, ou un copiste, ait commis une erreur dans la transcription de la relation que Mgr Giustiniani a fait de sa visite.

Le 11 septembre 1793, très loin des tumultes révolutionnaires et anti cléricaux du continent, le titre « d’autel privilégié » est accordé pour 7 ans à l’autel de l’église de Saint Roch de Letia.

• 1882 Fin des travaux de construction de l’église située au hameau de Cugugnana et dédiée à Saint Roch. Cette église a été construite sur le site où s’élevait la Chapelle dédiée à Saint Jacques jusqu’en 1686, puis à saint Roch. Cette chapelle deviendra, en 1703, l’église paroissiale du hameau de Cugugnana en remplacement de l’église de san Mighele, abandonnée cette année là. (C.F. Infra visite pastorale, à Letia le 27 juillet 1703, de monseigneur Pinelli, délégué de monseigneur Costa).

• 1885 Fin des travaux de construction de l’église de Saint Martin. Le clocher ne sera terminé que bien après la grande guerre.

• 1906 – Inventaire des biens paroissiaux de l’Église de Saint-Roch, levé le 21 février. Inventaire le 13 mars pour Saint-Martin. Concernant les inventaires des deux paroisses (4O). Rappel d’inventaires contenus dans les actes des visites pastorales de 1686, 1702, 1703. Pour les paroisses de San Mighele, Saint-Roch et Saint-Martin.

• 2009, l’église paroissiale du hameau de Cugugnana (Paroisse Saint-Roch) a été décrépie pour réhabilitation. Avant qu’elle ne soit recrépie, pour la fin des travaux la même année, on a pu noter dans ses murs, particulièrement dans le cœur de l’église à l’extérieur (côté nord), la présence de nombre de pierres taillées qui provenaient d’un autre édifice et qui avaient été murées lors de la construction de l’église paroissiale de Saint-Roch en 1882. Ces pierres taillées venaient vraisemblablement de san Mighele. On retrouve d'autres pierres taillées, susceptibles de provenir de San Mighele, dans la maison dite de Capurale, située à 15 mètres, en contrebas du mur Est de l’église paroissiale de Saint-Roch. Il en est de même pour les pierres qui sont visibles dans l’encadrement de la porte d’entrée de la maison Arrighi (Barthélémy), située sur le chemin qui mène au ruisseau Erbaghju-Calanchella et vers San Mighele.

La richesse du patrimoine religieux, réparti régulièrement sur le vaste territoire de Letia, nous démontre que notre communauté n’était pas seulement agro-pastorale et guerrière, mais que sa population, industrieuse, était dotée d’un savoir faire qui nous permet d’admirer l’œuvre des tailleurs de pierre et des maîtres d’ouvrage de Santa Maria di u Surbellu (12e -13e siècle),comme de ceux qui ont conçu et assemblé Santi Sari, la capella di a Catena ou qui ont sculpté les pierres de San Mighele que l’on retrouvent aujourd’hui dans les constructions et les monuments du village. Cette richesse du patrimoine, s’étale à partir des hameaux jusqu’aux sites de peuplement précaires qui dominent la haute vallée du Liamone avec les vestiges de Santa Maria di u Surbellu, d'une magnificence insoupconnée et qui était dotée de plusieurs ornements de pierre travaillée.Il nous faut citer San Clemente dans la haute vallée,au lieu dit E Conche, et dont ne subsitent que le nom et celui de a pichjola a a Chiesa, quelques pierres éparses et l'autre nom de u pianu di San Clemente . Plus en aval du Liamone, dans la basse vallée de villa, ou anciennement Villae, on peut admirer sur les coteaux les vestiges importants qui subsistent de la chapelle Santi Sari (saint Césaire).Celle-ci regroupait un nombre important de fidèles, venus des exploitations florissantes de la basse vallée dont la ligne de crête principale se prolonge jusqu’au castellu de la Catena, près duquel s’élevait la chapelle et où perdurent quelques pierres taillées.

On peut citer également les oratoires et particulièrement celui de San liséi qui, très ancien, faisait partie des constructions religieuses disséminées sur les cols les plus fréquentés, tel celui de San Petru qui sépare le territoire de Letia du Niolu et qui comporte lui même un oratoire. San Lisei, aujourd'hui détruit, coiffait le col di u Verallu. Il a été remplacé par un calvaire qui domine Letia et ses hameaux.

Les églises, San Martinu et San Roccu, nous prouvent que la foi des populations, le savoir faire, l’énorme effort consenti, porté par la rigueur et la ténacité, ont permis à la communauté de Letia de compenser le manque de moyens, même si ces constructions ont été élevées à une époque où la démographie avait atteint son apogée, comparée à celle des siècles passés et à la désertification actuelle.

 

 

Liste des curés, desservants successifs des paroisses de Letia

 

 

 

1485. Apparaissent sur une vente de blé Prete Antonetto (il a même un fils) et Prete Martino darzulo, en fait « da (illisible) ».

 

1569-1585- Griffonus, nommé sous-diacre en 1559, diacre en 1560 et prêtre en 1569 (il était rattaché à l’église du très révérend Hieronimo Leandro, ordre régulier, dirigé localement par le prêtre Pietro di Vico. Il sera nommé, à l’âge de 45 ans, en 1573, le sixième jour de juillet, dans l’ordre régulier. Lors de sa visite apostolique effectuée dans le diocèse de Sagone en 1585, monseigneur Mascardi, évêque de Mariana et Accia, indique que le desservant de cette chapelle portant le nom de San Michele, construite au Moyen-Âge et abandonnée en 1703, était le curé Griffonus).

 

1596-1603. Prete Giacomo ou Jacomo, rettore di Ledia (c’est lui qui, le 24 octobre 1596, ouvre le premier registre des mariages de Letia dont nous disposons et qui couvre les années 1596-1619. A noter qu’aucun mariage n’y figure du 13 avril 1603 au 4 juin 1606).

 

1606-1607. Prete Paolo, coratore di Letia.

 

1608-1610. Prete Griffone (le Griffonus de 1589, par ailleurs témoin au mariage du 24 octobre 1596 sous le titre reverendo Prete Griffone di Salogno)

 

1611. Prete Vincenti (rector di Letia, célèbre trois mariages cette année-là).

 

1614. Battista Leca (reprend le registre par une déclaration solennelle : « qui saranno notati li matrimonij a cui sarà intervenuto la persona di me Prete Batta Lecha … Amen », conclut par un appel à la Miséricorde divine. Ce registre se termine le 20 mai 1619).

 

1660. Prete Simone (curato di Letia).

 

1673. Battista di Battisti (rettore di Letia)

 

1683-1686- Angelo Maria Leca Xnaccie (originaire de Calvi, il est le desservant lors de la visite apostolique de Mgr Spinola le 7 juin 1686).

 

1697. Pietro-Maria Ciaccaldi, rettore di Letia San Rocco (baptise Jean-Hyacinthe Paoli le 11 février. Ce jeune homme, fils de Giorgio et Faustina, deviendra diacre en 1723).

 

1716. Angelo Matteo Leca est curé de Letia (le 19 juin, source : 5g 4/1 série G, aux Archives Départementales de la Corse-du-Sud).

 

1723. Angelo-Maria Leca, rettore di Letia (participe à la nomination le 18 mai de Jean-Hyacinthe Paoli comme diacre par Mgr Jean Dominique Cavagnari, évêque de Sagone).

 

1726-1728-. Pietro Maria Ceccaldi, recteur (baptise, le 1er juillet 1726, sous le titre rettore di Lethia, le nobile Gio, fils du nob. Gio Lorenzo Arrighi âgé de 25 ans ; en 1727, il reçoit une lettre de l’évêque de Sagone, Pier Maria Giustiniani interdisant le port d’une lance ou d’un sabre à tous les prêtres du diocèse).

 

1730. Don Geremia Chiappini, rettore di Lethia (baptise Gio-Batta Arrighi de Sansone et Agata-Maria, parrain : Clerico Angelo Matteo d’Orto).

 

1735. Ventura Versini, rettore di Lethia (participe le 25 mai 1735, à la confirmation du nobile Gio, fils du nob. Gio Lorenzo Arrighi).

 

1752. Don Antonio de Mattei, rettore di Letia (est présent lorsque le nobile Gio, fils du nob. Gio Lorenzo Arrighi, est ordonné prêtre le 20 mars 1752).

 

1766. Gio-Batta Arrighi (devient clerico le 20 mars et prêtre en 1767 sous Don Stephanus de Flisco).

 

1769-1776. Don Stefano Fieschi (présent en 1769 pour le dénombrement, est encore rettore le 17 novembre 1776 sur l’acte de décès de Bartolomeo Rossi produit au mariage de son fils Gio Fco le 24 nivose an XIII (1805) [source : 5E 141/1 A.D. 2A]).

 

1778-1793. Giovan Tomaso Fieschi (signe « rettore » le 9 septembre 1778 au bas de l’acte de baptême des cloches de Letia par Mgr Guasco : une nommée San Rocco à Ponte in sù, l’autre Santa Maria à Ponte in giù. Marraines : Marchese del Cap Anto Arrighi, Angela Francesca d’Anto Arrighi et la signora Maria-Francesca Fioravanti, la femme de Crisantio) ; en 1793, il demande à l’évêque de Sagone d’attribuer pour sept ans le statut d’« autel privilégié » à l’autel de saint Roch).

 

1790. Giovan Antonio Chiappini (source : 5E 141/1 aux A.D. 2A).

 

1802-1845. Francesco-Antonio Paoli, vicaire desservant (signe « Prete Franciscantonio Paoli Econome Curato » au baptême de Dco Fco de Santo Paoli et Maria, le 4 août 1802, présent sur l’état des circonscriptions paroissiales de la Corse signé à Paris le 22 septembre 1802 par Monseigneur Sebastiani, évêque d’Ajaccio et approuvé le 24 du même mois par le Premier Consul, in Mgr de la Foata, Recherches et notes diverses sur l’histoire de l’Église en Corse, Bastia, Ollagnier, 1895, p. 132, présenté comme « de son vivant desservant à Letia » sur un certificat de propriété en 1845).

 

 

 

Letia saint Roch

Letia saint Martin

Defranchi (...-1849-1867)

Subrini Félicien (de 1844, époque de l’érection de la chapelle San Martinu en succursale, jusqu’à novembre 1849). Il inscrit les mariages en français.

 

Rossi Jean-Baptiste (1850-1864),Fils de Petru Rossi di Cugugnana.

Filippini Jean (1867-1900)

Casella Jean-Baptiste (1864-1866)

 

Girolami François-Antoine (1er mars 1867- fin septembre 1879)

 

Colonna Xavier-Antoine (1879-1897)

Cerati Jean-Baptiste (1897-1909. 42 ans de service en 1906, pension ecclésiastique, Journal officiel de la République française, 25 octobre 1906, p. 7217)

Bonifaci Jean-Dominique (1901-1909)

 

Pastinelli Ange-Mathieu (1910-1921)

Cipriani Martin (1909-1922, « Prete Cimighellu »)

 

1922-1937 Antoine Padovani

 

1937-1970. Antoine-Toussaint Susini (également curé de Renno à partir de 1951, il fut le dernier curé de Letia à résider au presbytère de Letia St Roch).

 

1970-1998. Pierre Comte, dernier curé en titre de Letia (membre de la congrégation des Oblats de Marie Immaculée (O.M.I.), installée au couvent de Vico). Depuis le 5 janvier 1998, les O.M.I. assurent la desserte des deux paroisses de Letia, à peu près un dimanche par mois.