Letia Eléments d'Histoire
Letia est un village du Vicolais, dans les Deux-Sorru, enraciné dans l'hinterland du port de Sagone. Les recherches archéologiques ont permis de déterminer que le peuplement du territoire de la communauté de Letia remonte à la Préhistoire . Sa population a participé, comme les autres habitants des cités et villages voisins, à l'histoire tragique et glorieuse de l'île et à tous les mouvements et les actions menés par les chefs nationaux. Il en a subi les conséquences les plus dramatiques et cruelles, sous la férule de tous les envahisseurs qui se sont succédés. Plusieurs fois détruit, sa population eut à subir de virulentes répressions et se réfugia à différentes reprises dans la haute vallée du Liamone où l'on retrouve les sites de peuplement précaires. Cela se produisit jusqu'à l'instauration de la paix française (1), au lendemain de la conquête de la Corse par les troupes de Louis XV.
Une unité formée à Letia, la compagnie ou squadra Arrighi, lutta avec le reste de l'armée corse pour préserver l'indépendance de l'île et le libre destin de la nation que Pascal Paoli avait unifiée et structurée, autour des valeurs et des idéaux des lumières, codifiés dans l'acte fondamental qu'il institua à partir de 1755. (C .F. Constitution de la Corse).
L'histoire de Letia est liée à celle des chefs nationaux qui sollicitèrent la participation des villageois, et des populations de la région, aux mouvements rattachés à de grands changements ou qu'ils suscitèrent eux-mêmes, dans l'espérance continuelle d'une hypothétique libération. Longtemps les chefs qui s'imposèrent, avant d'être nationaux, furent surtout des chefs de factions. Ils en fût ainsi jusqu'à ce que le sentiment national s'impose aux hommes, aux factions et à leurs chefs. Il fallut attendre pour cela le XVIe siècle, alors que, même après que la Corse fut libérée de l'occupation des sarrasins et durant tout le règne des féodaux, la population de Letia, comme toutes celles du Pumonte et jusqu'à Calvi, servit les seigneurs locaux.
Letia apparait dans l’histoire dès avant l’an Mil dans un ouvrage rédigé au XVème siècle par Giovanni della Grossa qui exerçait les fonctions de « notaire » auprès des gouverneurs génois de son temps. Cet érudit est l’auteur de la première histoire de la Corse, document de référence qui consigne toutes les informations détenues par ses contemporains sur l’histoire de notre île. Dans cette somme de connaissances, on voit apparaitre les premiers personnages de l’histoire de Corse sur lesquels on dispose d’ailleurs de peu d’éléments. Il en est ainsi au tout début de ce récit historique d’Ugo Colonna, le libérateur de la Corse ; il en sera de même pour le très fameux Arrigo « bel messere » mort en l’an mille, quelques détails permettent toutefois de mieux cerner le contexte de l’action de Sambucuccio d’Alando contre les féodaux.
Giovanni, natif de Grossa et fonctionnaire génois, n’a jamais accablé la Sérénissime république de Gênes. Dans son œuvre, il ne prend cependant le parti d’aucune faction ou Etat ; il conte, il raconte, il explique, il nous enseigne la généalogie des premiers personnages de Corse qui ont eu une action alors déterminante sur le devenir de notre région. Le texte qui suit est, en substance, notre histoire relatée par Giovanni della Grossa. Les informations concernant Letia contenues dans son ouvrage ont été volontairement condensées et transcrites dans un mode d’expression écrite que l’on espère compréhensible par nos contemporains. La manière usitée par Giovanni della Grossa pour relater les évènements du passé ou de son temps était bien différente de celle d’aujourd’hui et la reproduction fidèle de ses écrits aurait pu décontenancer puis lasser le lecteur. Aussi, il a été pris la liberté de ne présenter que ce qui concerne Letia, ses environs, ainsi que l’essentiel de ce qui a trait aux comtes de Cinarca.
Certains historiens considèrent que Giovanni della Grossa a pris quelques libertés avec la chronologie dans la relation qu’il fait de certains évènements, particulièrement ceux concernant la Corse. Affirmant que l’auteur disposait d’informations fiables et de documents irréfutables, ils lui reprochent d’en avoir fait une utilisation approximative qui les conduit à qualifier quelquefois son œuvre de construction intellectuelle. Ils s’accordent cependant pour indiquer que Giovanni della Grossa relate des faits établis, qu’il situe dans le contexte des acteurs qui ont réellement existé et qu’il est précis lorsqu’il décrit les lieux dans lesquels il place l’action des personnages et les évènements relatés . Il est ainsi à l'origine du mythe de la libération de la Corse par Ugo Colonna. Pourtant, concernant le castello della Catena, les archéologues confirment que cette construction date bien du IXe siècle.
Letia entre dans l’histoire avec la mort du Pape Léon III, lorsque son successeur Etienne IV monte sur le trône de Saint Pierre avec le soutien de Louis le Pieux, successeur de Charlemagne. Le comte romain Ugo Colonna et ses partisans qui s’étaient opposés à l’élection du nouveau Pape furent pardonnés à la condition qu’ils aillent reprendre la Corse aux sarrasins. Cette légende nous est contée par Giovanni della Grossa. C'est ainsi qu'est né le mythe de la Libération de la Corse par Ugo Colonna. Celui ci avec son entourage se serait rendu en Corse, en l’an 816, avec mille fantassins et 200 cavaliers. Embarqués sur plusieurs navires, ils se dirigèrent vers la cité d’Aléria pour la libérer. Parmi les gens d’armes qui accompagnaient le comte Ugo Colonna se trouvait son neveu, Orlandino, cavalier émérite qui combattit à Aléria puis prit part à la libération de l’île après de nombreux combats contre les maures. L’île libérée, Ugo Colonna institua en l’an 818, son neveu Orlandino seigneur de la contrée de Vico. Orlandino Colonna fit construire un Château, à Letia, appelé le castello della Catena, et un autre, à mi-chemin entre Sia et Salognu qu’il appela Geneparo. Le castello de la Catena était bâti sur un arc naturel de pierre qui surplombe deux précipices ce qui le rendait aisément défendable. Les études archéologiques confirment le récit de Giovanni della Grossa en indiquant que les ruines du Castello remontent au IXe siècle.
Ugo Colonna mourut en 856. Il laissait pour héritiers deux de ses fils, Bonifacio et Cinarca, qui l’avaient accompagné dans sa conquête de la Corse. Selon Giovanni della Grossa, Bonifacio Colonna succéda à son père en 856, le pape le confirma comme suzerain de l’île. Le comte Bonifacio Colonna mourut en l’an 879. Ses descendants, le comte Orlandino, le comte Ridolfo, le comte Guido, et le comte Bonifacio furent reconnus par le pape comme les suzerains de Corse. Bonifacio, second du nom engendra le comte Arrigo, dit « Arrigo bel Messere » ; celui-ci, selon Giovanni della Grossa, arriva au pouvoir en 968, soit 152 ans après le débarquement d’Ugo Colonna. L’autre fils de ce dernier, Cinarca, était demeuré en Corse. Sa descendance s’était perpétuée et il y eut successivement le comte Oliviero, le comte Rinaldo, le comte Guglielmo, père de Forte, comte de Cinarca, contemporain d’Arrigo bel Messere. Forte et ses prédécesseurs, descendants de Cinarca avaient adopté son prénom comme patronyme ; ils l’avaient également donné à leur château et à leur comté. Forte vécut du temps d’Arrigo bel Messere qui avait une fille prénommée Bianca ; celle-ci épousa son fils, Antonio di Cinarca. « Bel messere » avait également sept fils. En l’an 1000, Arrigo bel Messere entreprit une médiation à la demande de Forte de Cinarca qui avait une querelle avec les châtelains du Castello de Talavento. Arrigo bel Messere fût traitreusement tué dans une embuscade des talaventesi qui firent prisonniers ses sept fils avant de les noyer au « pont des sept polli ». Cette tragédie eut lieu au mois de mai de l’an 1000 et, selon la légende, une voix surnaturelle se fit alors entendre annonçant à tous : « Arrigo bel Messere est mort ». L’historien Giovanni della Grossa ajouta pour sa part, «Et la Corse ira de mal en pis ».
Concernant la place forte de la Catena, toujours selon notre chroniqueur, une famille de la région, les Amondaschi qui habitait « Supetra », une localité proche de Vico, attaqua le Castello de la Catena dont elle s’empara. Le Castello fût détruit ainsi que celui de Geneparo. Le principal organisateur de ces attaques était Amondo Amondaschi, qui après s’être emparé de la Catena et de Geneparo, revendiquait le titre de seigneur et comte de Cinarca car il appartenait à la famille du comte Arrigo bel Messere. Il tenta de conquérir des seigneuries dans le Cismonte sans y parvenir. Il se replia alors sur Catena.
Les affrontements qui se perpétuaient plongèrent la Corse dans le chaos. Une délégation des peuples de l’île se rendit alors à Rome pour demander au Pape Grégoire VI de ramener le bon ordre dans le gouvernement de Corse. Le pape donna le gouvernement de la Corse au marquis Malaspina qui prit contact avec les Amondaschi et avec d’autres seigneurs qui se rallièrent. Le comte de Cinarca, considérant qu’il était le successeur d’Arrigo bel Messere, refusa de faire allégeance. En 1072, Malaspina chassa le comte Andrea de Cinarca et tous les siens, ils se réfugièrent en Sardaigne. Son fils, qui lui succéda, ne put gouverner. Le Pape envoya plusieurs gouverneurs successifs qui ne parvinrent pas à rétablir la paix. Le pape se résolut alors à confier la Corse à Pise qui exerça une tutelle bienveillante sur la Corse en cherchant à développer l’île.
En 1112, le Castello de Cinarca revint aux Cinarchesi, qui rentrèrent en Corse après quarante ans d’exil en Sardaigne. Le comte Andrea, fils d’Antonio de Cinarca et petit fils de Forte de Cinarca avait été banni par le gouverneur Malaspina. Il avait été accueilli par Giudice di Gallura qui l’avait pris sous sa protection. Giudice di Gallura prit Arrigo, le fils d’Andrea, en estime et lui donna une formation de chevalier puis le maria à sa nièce. De cette union naquit Diotaiuti, petit fils d’Andrea de Cinarca. Les gentilshommes du vicolais, plus particulièrement les « Alzovisacci », décidèrent à la veille de l’an 1112 de se rendre en Sardaigne pour demander au comte Arrigo et son fils de revenir en Corse pour reprendre leur seigneurie de Cinarca. En 1112, Arrigo da Cinarca et Diotauti revinrent en Corse où ils furent très bien accueillis. Arrigo fit jurer allégeance à son fils Diotaiuti. Ce dernier se rendit à Pise pour y nouer des contacts avec les autorités. Plus tard, il se rendit à Letia ou il enleva le Castello de la Catena tenu par les Amondaschi et qui avait été reconstruit comme celui de Geneparo. Il occupa les deux Castelli. Il reprit l’ensemble du vicolais et le Niolu.
Diotauti laissa un fils légitime qui s’appelait Cinarchese. Ce dernier agrandit le domaine et gouverna la Cinarca qui s’étendait alors, au Sud, au delà du col Saint Georges et, au Nord, au delà du Niolu. Il gouverna en bonne entente avec le représentant de Pise. Cinarchese eut deux fils Guido et Goglermo da Cinarca. Ils vécurent en bonne entente sans tenter d’étendre leur domaine. Guido da Cinarca eut deux fils. Le premier fût nommé Arrigo Orecchiritu, Le second fût nommé Rinieru Pazzo parce qu’il faisait des « choses étranges ». A la mort de leur père, les deux frères Arrigo et Rinieru, firent mettre aux fers leur oncle Goglermo et l’étrangler quelques jours plus tard. Arrigo séjournait le plus souvent à la Catena, il demeura seigneur de Cinarca et de la Catena. Il avait construit le Castello cinarchese situé entre Sagone et le Liamone. Arrigo Orecchiritu était réputé pour sa sagesse. Les autres seigneurs faisaient appel à sa médiation en cas de litige entre eux.
En 1245 Sinoncellu della Rocca fils illégitime de Goglermo da Cinarca revint de Pise où il s’était rendu pour éviter le sort de son père assassiné par Arrigo Orecchiritu et Rinieru Pazzo. Il voulait faire valoir ses droits en Cinarca. Après avoir noué une alliance avec Rinieru Pazzo, réfugié à Cozzi après une brouille avec Orecchiritu, il s’attaqua alors à ce dernier qui vivait au Castello de la Catena avec ses deux fils après avoir confié le Castello de Cinarca à la garde de ses partisans. Ces derniers le trahirent et permirent à Sinoncellu de s’emparer du Castello de Cinarca. Cette prise, obtenue grâce à l’aide des galères pisanes, consacra son influence auprès des seigneurs féodaux. Il se fit appeler désormais, Sinoncellu della Rocca, comte de Cinarca et Giudice di Corsica, soit, Giudice di Cinarca.
Giudice de Cinarca se rendit alors à Letia, au castello de la Catena où il provoqua Arrigo Orecchiritu en assiégeant épisodiquement le castello de la Catena durant plusieurs jours d’affilés puis en levant le camp. Arrigo Orecchiritu noua alors une alliance avec le seigneur de Sant Antonino et prit attache avec Gênes. Les génois promirent de lui fournir un contingent de 500 hommes. Giudice di Cinarca, décida d’attaquer le fort de Catena avant que le contingent génois ne vienne renforcer Orecchiritu. Il se rendit ainsi au Castello de la Catena et tenta d’attirer Arrigo hors les murs. Il demanda à ses hommes de simuler une fuite dès la sortie des hommes du castello de Catena qui ne manqueraient pas de les poursuivre. Arrigo quitta le castello pour prendre en chasse les hommes de Giudice ; tombant dans une embuscade, il fut tué. Cependant, Giudice ne pût s’emparer du castello dont le pont-levis fût relevé. La défense de Catena était assurée par les deux fils d’Arrigo Orecchiritu, Arrigo et Guido qui résistèrent. Giudice se retira de Catena pour éviter d’affronter le contingent génois. Ayant perdu Cinarca, les fils d’Arrigo Orecchiritu portèrent désormais le seul titre de comte de la Catena. La résistance se poursuivit au castello de la Catena jusqu’à ce qu’Arrigo de la Catena décide de demander la paix à Giudice qui la leur accorda. Mais dès que l’occasion se présenta, ils reprirent la guerre, alternant combats et trêves, causant des difficultés à Giudice qui jamais ne put en venir à bout.
Guido à sa mort laissa cinq fils. Arrigo, qui n’avait pas de descendance prit soin de ses neveux. Il fit reconstruire le castello de Geneparo (Calanche de Piana)et le donna à son neveu Golgelmo. Il fit édifier le castello de Maschio (près de Coggia) et le donna à Arrigo, autre neveu. Arrigo fit édifier pour son troisième neveu Restoruccio le castello de Leca (près d’Arbori). Arrigo della Catena avait deux autres neveux, Branca et Giudicellu. Il continuait de résider à la Catena mais lorsqu’il fut âgé, l’un de ses neveux le chassa du castello pour qu’il aille vivre dans une localité du voisinage avec l’assurance du versement de quelques subsides. Cette attitude ingrate fût le salaire des soins attentifs qu’il avait portés à l’éducation et l’établissement de ses neveux. Gênes tentait alors de s’imposer en Corse et avait su profiter de l’alliance demandée par les fils d’Arrigo Orecchiritu de la Catena et de Cinarca, pour affronter Giudice de Cinarca, allié de Pise. La Catena et Cinarca étaient alors gouvernées par Golgelmo, l’aîné des cinq fils de Guido della Catena et son fils Lupaciello. Les génois qui commençaient à se familiariser avec les choses de Corse furent mécontents de ce que Golgelmo se lie avec les aragonais en raison de l’antagonisme entre aragonais et génois qui avaient, les uns et les autres, des prétentions sur la Sardaigne.
Gênes décida en cette année 1329 d’attaquer Golgelmo et son fils Lupaciello dans leur fief. Elle ne put les réduire car ils avaient avisé Aragon et organisé leur défense avec succès, à Catena et à Cinarca. Le roi d’Aragon occupait alors la Sardaigne. Les habitants de Sassari se révoltèrent et massacrèrent les troupes aragonaises. Il en alla de même à Alghero où les génois vinrent secourir les sardes. Aragon répliqua en envoyant une flotte qui, après avoir battu la flotte génoise, se dirigea vers la Corse. Gogliermo della Rocca gouvernait alors la Corse, sous la protection de Gênes qui s’était imposée dans toute l’île, excepté en Cinarca et Catena, en affirmant qu’elle était venue en Corse à la demande des insulaires. Après que Gogliermo ait changé de camp et choisi celui des aragonais, il s’appuya sur les seigneurs de Cinarca. Ensemble ils demandèrent à Aragon de venir les assister, leur affaire échoua et Gogliermo della Rocca fût tué. En Cinarca, Golgelmo et son fils Lupaciello qui avaient, depuis 1329, combattu pour le roi d’Aragon furent attaqués, cette fois vaincus et déportés à Gênes où ils moururent.
C’est vraisemblablement à cette époque que le Castello de Catena fût rasé, bien qu’aucun document ne l’atteste. La suite du récit de Giovanni della Grossa concerne l’implantation progressive de Gênes en Corse favorisée par les conflits entre féodaux qui n’avaient pas encore découvert le sentiment d’appartenir à une nation. Letia n’est plus mentionné, il sort de l’histoire contée par notre chroniqueur après avoir été, des décennies durant, un des sites dans lequel se jouait le devenir de la Corse.
Giovanni della Grossa continue cependant d’évoquer l’histoire de la Cinarca et de ses nobles dont les activités auront une influence certaine sur le sort de la communauté de Letia. Ce fût le cas plus particulièrement de Giovan Paolu di Leca dont on a vu infra comment le castello des Leca est lié à l’histoire de Letia et de la Catena où régnaient celui qui l’a créé, Arrigo della Catena, fils d’Arrigo Orecchiritu, seigneur de la Catena et de Cinarca. L’histoire de Letia se poursuivra contée par d’autres chroniqueurs, et le village apparaitra dans les combats menés contre Gênes par les Leca avec le soutien de la communauté de Letia et de l’ensemble de la région, élargie au Sia, et au Niolu, autour du vicolais.
Les derniers seigneurs que furent les Cinarchesi, particulièrement Giovan Paolo di Leca et Rinucciu della Rocca, qui dominent tous deux de leur personnalité les derniers soubresauts du Moyen Âge, ont tenté de mener à bien, avec pugnacité et souvent avec antagonisme, le grand projet de leurs prédécesseurs, visant à imposer un comté face à Gênes et à ceux qui incarnaient son pouvoir. Leurs démarches respectives engendrèrent souffrances et destructions, même s'ils agirent comme chefs d'une communauté, consciente d'exprimer dans ce combat le sentiment national, face, non seulement à l'oppression génoise, mais aussi surtout au conglomérat de banquiers, aristocrates et hommes d'affaires génois qu'était l'Office de Saint Georges, chargé par la République de Gênes, dès 1453, d'administrer la Corse, et qui constituait un véritable état dans l'état de la Superbe (2).
Le premier de ces chefs, Giovan Paolo di Leca (3) (Jean Paul de Leca) est le fils de Resterucciu di Leca et le petit fils de Rinucciu di Leca, il naitra en 1450 au cœur de la seigneurie construite par le fils d'Arrigo Orecchiritu, Arrigo della Catena, pour son neveu Resteruccio, près d'Arbori (Castello da Leca. A l'époque l’île est gérée, au nom de Gênes, par l’Office de Saint Georges, avec l’assentiment du Pape. La domination génoise devient ainsi fondée en droit.
L'Office massacre 22 seigneurs de Cinarca hostiles, expatrie de nombreux Corses, vide le Niolu de tous ses habitants et le ruine sans cesse, de 1459 à 1530, car hostile à Gênes.
En 1455, après la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, les barbaresques commencent à razzier les côtes (ils le feront durant environ 3 siècles). Les villages côtiers commencent à être abandonnés. Pour rassurer les populations, Gênes impose la construction de tours littorales aux frais des pievi et communautés (4).
En 1460, devant la Cortès catalane, Jean d'Aragon jure l'union perpétuelle de la Sicile et de la Sardaigne à la couronne. Il n'est plus question de la Corse. C'est la reconnaissance tacite de la souveraineté génoise sur l’île de Corse. En 1463 la promesse d'aider Giocante da Leca en révolte contre Gênes, sera la dernière manifestation des droits que l'Aragon pouvait prétendre sur la Corse. C’est en 1459 que Letia est détruit avec les autres villages du vicolais, par Antonio Spinola, pour avoir soutenu la révolte nationale des seigneurs de Cinarca. Les populations sont chassées de leur village. Le capitaine général génois, Antonio Spinola fit saccager Letia et les villages de la région de Vico et des régions de Sevidentru (C.F. canton des Deux-Sevi) et du Niolo, ainsi que les forts de Sia, Leca et Butari. Il fit brûler nombre de villages jusqu’aux portes de Calvi. Antonio Spinola mourut à Vico de maladie, la même année 1459 (5).
Le mouvement national, représenté dans la région par les cinarchesi, s'imposa face à Gênes, au XV et au XVIe siècle, grâce aux chefs opiniâtres que furent successivement Giovan-Paolo di Leca et Rinucciu della Rocca. Le premier surtout arracha aux génois l'indépendance de l'état de Cinarca, qui s'étendait des portes d'Ajaccio à celles de Calvi, et au sein duquel Letia tenait, avec le Niolu et Renno, une position clé pour sa défense (6). Cet état, se maintint par les armes durant quelques années, avant de s'effondrer face à la puissance génoise qui, une nouvelle fois, détruit cités et villages dont Letia.
Sous le régime de Giovan Paolo di Leca, Gugliemo Bolano est nommé évêque de Sagone en 1480 et fonde la même année le couvent de Vicu, que fait bâtir l’année suivante, en 1481, Giovan Paulu di Leca. Bolano, originaire de Speloncatu en Balagna, demeurera en poste à Sagone jusqu’en 1490, année de son décès. (C. F. cronica di Corsica de Caporossi). Originaire de Speloncatu, Bolanu avait pu juger de la diffuculté pour les moines installés dans le couvent de ce village de Balagna, d'y vivre aisément, à cause du manque d'eau. S'appuyant sur Giovan Paolo di Leca, il adapta son propre projet à la volonté du responsable de l'état de Cinarca de contribuer à l'établissement d'un couvent dans la province du vicolais, près du castello des Leca à Arbori qui avait été construit par le comte Arrigo della Catena pour son neveu Resteruccio, fils de son frère Guido, décédé prématurément. Fils de Guido della Catena et petit fils d'Arrigo della Catena plus connu sous le nom d'Orecchiritu, Resterucciu est l'ancêtre de Giovan Paolo de Leca. C'est ainsi que fût construit le couvent des franciscains de Vicu, qui s'imposa comme le principal centre religieux de la région. A travers les siècles, le couvent est devenu aussi un centre de rayonnement non seulement de la pensée religieuse mais également de l'expression de la pensée et de l'action politiques, au service des intérêts du peuple et de la région. Les francicains ont souvent accompagnés les revendications des populations et les ont soutenues dans leur opposition ou leur résistance face à l'oppression génoise, malgré la présence, souvent à Sagone, de délégués du pape originaires de la République sérénissime.
La prospérité toute relative du village de Letia apparait dans deux documents jumeaux, datés de 1485 et 1486, et qui apportent un éclairage supplémentaire sur la perception des tailles dans la seigneurie de Giovan Paolo di Leca (C.F. Franzini, la Corse au XVe siècle –page 51).Ils donnent en effet la liste des 338 puis 314 feux, francs de taille dans la seigneurie, laquelle comportait 3000 foyers imposables. Ces documents démontrent que, même si le mot prospérité peut paraitre exagéré, il y avait néanmoins un état, ou un semblant d’état, et qu’il avait posé un minimum de règles, pour organiser les communautés, exploitées et étrillées jusque là par Gênes qui n'admettait aucune liberté individuelle ou collective pour ses sujets. Les dons en nature des habitants étaient consignés dans le Registre d’indulgences. Ce registre demeure une source intéressante de renseignements sur l’économie insulaire. Le village de Letia, comme tous ceux de la région, retrouva une paix certaine et pu s’épanouir sous le régime de l’état de Cinarca (7), institué par Giovan’ Paolo di Leca. Ainsi en 1476, une page du registre du Sarradore pour la Cinarca de Giovan Paolo di Leca, consacrée à l’année écoulée, décrit l’enregistrement de quelques rentrées fiscales payées à Letia en nature par manque de numéraires, notamment du seigle (pour huit livres huit sous), ainsi qu’un cuir (pour trois livres) et de la charcuterie (pour une livre, quinze sous). Le 31 janvier, toujours à Letia, dix mezzini et quatre bacini (décalitres) de seigle (8). Si la plupart de ces vassaux payaient en effet la taille, certains pouvaient en être exempts.Il en est ainsi à Letia pour trois aveugles du village.
A côté des trois aveugles de Letia, on observe peut être des gentilshommes, mais assurément des hommes ou des familles ainsi récompensés, tel un chef de famille de Paomia qui disposait de quatre franchises qu’il donnait à qui il voulait (quatro quale ello vole). On y rencontre aussi des hommes attachés au service du seigneur – deux maçons, un couvreur, deux hommes pour fabriquer des briques, deux travailleurs pour une scierie, quatre à sept vignerons ou gardiens de vignes, un meunier, et sept à dix hommes attachés à la garnison des forts et châteaux.
En 1487, Gênes tente de reprendre la main et s’efforce de mettre fin au régime seigneurial et à l’État de Cinarca, instauré par Giovan Paolo di Leca. Ce dernier dirigera la révolte contre les troupes génoises qui le harcèlent. Au cours de ces affrontements où s’exprime le sentiment national, comme les autres villages du vicolais, Letia participe avec sa population au mouvement qui embrase les terres de l'état de Cinarca et notamment le vicolais. Le chef de la révolte s’appui sur le fort de Cinarca, situé près du littoral et facile à prendre, et sur le castellu fortifié de Leca (Arbori) ainsi que sur le castellu de Sia, situé au sud d’Osani et au-dessus de Portu sur la commune actuelle d’Ota. Giovan Paulu di Leca est passé à l’offensive contre l’Office de Saint Georges dont il était l’allié. C’est le début de la nouvelle guerre des cinarchesi contre Gênes.
Giovan Paulu di Leca est élu comte di Corsica à u Borgu di a Marana, devant 30.000 personnes. Blessé à Vicu, il rentre à Leca. Le soulèvement qu’il a conduit dans toute la région de Vicu, Letia, etc. et de la Cinarca entière, jusqu’au Niolu et une partie de la Balagne, est écrasé. En effet, Gênes à fait parvenir à ses troupes un canon de bronze, débarqué à Sagone par le chef du corps expéditionnaire génois, le français de Falcon. La région de Vicu et Letia subissent une forte répression et nombres de destructions, menées sous les ordres du mercenaire de Falcon. Battu, Giovan Paulu di Leca se réfugie en Sardaigne, après s’être embarqué à Ajaccio pour Sassari. (C. F. Cronica di Corsica de Caporossi et Histoire de la Corse de Marc Antonio Ceccaldi, 1464-1560, réédition Alain Piazzola, 2006.CF.voir supra). En 1489, au cours de la deuxième guerre livrée par l'Office de Saint Georges contre Giovan Paolo di Leca (Chronique de Corse- Anto Pietro Filippini, Editions Piazzola, Introduction , traduction, notes et Index de Antoine Graziani, janvier 1996, page 401, note 53) Ambroggio da Negri dirige la repression et détruit et incendie les villages de Sorru in su, de Sevi in dentru, de l'ensemble du vicolais, du Filosorma, Chiomi et Lecciola. Il chasse les habitants de l'ensemble de ces régions, y compris les populations des villages du Sia et de la Cinarca, eux mêmes incendiés, notamment Sari d'Orcino, Ambiegna, Arro et Lopigna.
En 1493, après avoir fait raser les forts de Leca et de Cinarca, l’office de Saint Georges confie le fort de la Zurlina, (Construit par Rinucciu della Rocca.) situé face à Letia, à un allié de Gênes, le pievan de Coggia. Toujours en 1493, Laurentius est nommé évêque de Sagone et demeure à ce poste jusqu’en 1509. Il succède à Gugliemo Bolano, qui était décédé en 1490.
Les 24 et 25 août 1498, Giovan Paulu di Leca débarque à Roccapina avec ses deux fils et quelques partisans. Il se rend chez l’un de ses fidèles, Amoroso de Vezzani, qui le dénoncera aux génois. Traqué par Gênes, sa tête est mise à prix 100 ducats. Les alliés corses de Gênes le combattent dont Rinuccio della Rocca. L’Office de Saint-Georges envoie Ambrogio de Negri et Gerolamo de Gentile pour diriger les troupes combattant Giovan Paulu di Leca. Ce dernier fait alliance avec Rinuccio de Leca, ancien allié de Rinuccio della Rocca. Giovan Paulu di Leca est finalement battu et s’embarque pour Rome. Il se rendra en Sardaigne.
De retour de Sardaigne en 1501 et après avoir débarqué à Aléria, Giovan Paulu di Leca rallie successivement le Niolu où il recrute 200 Hommes, puis Evisa, avant de parcourir les villages de sa seigneurie et y recruter des partisans dans tout le vicolais, notamment à Letia qui fournira une nouvelle fois des hommes et des vivres. Il en est de même pour toutes les autres localités du vicolais qui rejoignent l’insurrection. Après divers combats au cours desquels il doit affronter à nouveau le gouverneur et chef du corps expéditionnaire génois, Ambrogio de Negri, débarqué en juin 1501 à Bastia avec pour mission de le réduire, Giovan Paulu di Leca(9) se réfugie dans le fort de la Zurlina (situé face à letia, sur le monte a u castellu, au-dessus du col de Sorru) d’où il négocie sa reddition, directement avec Ambroggio de Negri.
Après l’échec de la révolte, Giovan Paulu di Leca s'embarque à Calvi, en octobre 1501, pour s’exiler en Sardaigne. Durant son exil, il rédigera de nombreuses lettres en italien, destinées aux autorités génoises, et l'une d'entre elle à été écrite dans la langue corse de l'époque. Elle se trouve aux archives de Gênes et peut donner un aperçu de la langue corse de cette période (10). Le chef cinarchese décèdera à Rome en 1515 et sera inhumé dans la Basilique Saint Chrysogone (San Crisogono), lieu de sépulture de la colonie corse de Rome, où furent inhumés notamment les officiers de la garde papale corse (11) de 1506 à 1662, dans la ville éternelle
Ambroggio de Negri dispersa les populations des villages de l'état de Cinarca avant de regagner Gênes. Il sera remplacé par un nouveau gouverneur plus clément, Bartoloméo Giustiniani.
En 1504, Rinucciu della Rocca s’embarque pour la Sardaigne où il rencontre Giovan Paulu di Leca. Il débarque en Corse la même année avec trente compagnons et recrute des alliés. Battu, il se réfugie au fort de la Zurlina. Il est contraint de se rendre aux troupes génoises de Nicolo Doria.
Après les révoltes de 1501, le village de Letia avait été saccagé en 1503 par les troupes de Gênes et plus particulièrement par le corps expéditionnaire que commandait Nicolo Doria, débarqué à Ajaccio en décembre 1502 avec 900 hommes (12).La population de Letia avait été chassée et dispersée (13). Un manuel (14), figurant aux archives de la banque de Saint Georges à Gênes, donne la liste des habitants de Letia et d'autres communautés autorisés à s'installer dans leur village d'origine et le plus souvent dans d'autres villages de la région.
C’est pourtant en 1516, le 23 janvier, que le chanoine de Sagone, Ghjuvan’ Francescu de Critinacce adressa une requête aux autorités génoises, pour que les habitants de Letia, chassés de leurs terres pour trente ans, lors des révoltes précédentes, puissent revenir les cultiver. Cette requête est conservée dans les écrits de Mathieu de Porta, aux archives de la Banque de Saint Georges à Gênes. C’est par l’entremise du chanoine de Sagone, Ghjuvan’ Francescu de Cristinacce (15) que la population de Letia obtint ainsi de pouvoir revenir cultiver ses terres, à nouveau, en 1516. L’interdiction avait été imposée pour trente ans à partir de 1504, date de la destruction du village par les troupes de Nicolo Doria, qu’accompagnaient les unités de « Guastatori », chargées de brûler les récoltes et de détruire, oliviers, châtaigniers, maisons, gîtes et bergeries ainsi que les troupeaux.
Aux archives de Gênes figure la liste des letiais qui furent surpris sur le territoire de la communauté, alors qu'ils étaient revenus pour cultiver leur terre en 1513. Les représentants des autorités de Gênes leur imposèrent de payer la taille et notèrent les noms. C'est à la suite de cet incident et pour répondre aux demandes des letiais que le chanoine Ghjuvan Francescu de Cristinacce, propriétaire à Letia où sa famille sera présente jusqu'au XIXe siècle, écrivit aux autorités de Gênes pour demander à ce que les habitants puissent revenir dans leur village.
En 1537, Letia compte 375 habitants et est, à l’époque, rattaché, non pas à la Piève de Vicu (C.F.Canton des Deux-Sorru), mais à celle de Sevidentru (C.F.Canton des Deux-Sevi), laquelle comprend : Cristinacce, 215 habitants, Marignana 230 h, Evisa 260 h, Tassu 45 h, Guidacciu 50 h, Poghju di Rennu 155 h, Pudingu 18 h, Chiraghja 25 h, Macinaghiu 75 h, Chimeglia 110 h, Letia 375 h, Raghiu et Luna. (C.F. Cronica di Corsica de Caporossi).
Sampiero Corso avait réussi à libérer l’île avec l’aide des turcs et pour le compte de la France en débarquant à Bastia le 23 aôut 1553, sur ordre du roi de France Henri II, à la tête de 5000 hommes avec de Termes et l'amiral La Garde. Il fallu attendre 1564 pour que Sampiero, le colonel des corses, reprenne le flambeau cette année là, diligenté à nouveau par le royaume de France, en arrivant à Renno, Letia et Vico (16), où il se présenta comme le successeur de Gio Paulu di Leca (Jean Paul de Leca) (17) pour y relancer la guerre de libération (18). Toutes ces expériences amenèrent ainsi au XVe, comme au XVIe siècle la destruction de Letia.
Les membres de la communauté de Letia comme une partie des corses ont, depuis l'Antiquité, émigré pour servir dans les différentes armées de la péninsule italienne, en Espagne, en France plus particulièrement lors du départ d'Alphonse d'Ornano qui après l'assassinat de son père, en 1567, avait pris la direction de la révolte en s'installant à Murzo et en demeurant à la tête des troupes de son père, composées en grande partie de jeunes de la région. Lors du départ pour la France, où il demeurait au service du roi de France avec le titre de colonel des corses, trois cents de ses partisans, notamment de la région des Deux Sorru, des Deux Sevi, du Sia, de l’Ornano et de Bastelica le suivirent en 1569, tandis que plusieurs autres s'enrôlèrent sous ses ordres, en 1574, lorsque Gênes l'autorisa à recruter un millier de corses pour servir le roi de France dans un régiment qui allait perdurer jusqu’en 1726 et qui sera commandé par Jean Baptiste d'Ornano avant sa dissolution à cette date.
Ces départs pour les armées étaient traditionnels particulièrement à Venise, la garde du Pape, et, plus tard, ils s'effectuèrent vers les armées des rois de France avec des régiments spécifiques. Les rois de France n’avaient eu avec la Corse que des rapports indirects, en employant durant la guerre de cent ans des compagnies d’infanteries et précisément d’arbalétriers, à cause de leur rusticité et de leur réputation traditionnellement affirmée de soldats d’élite. Lors de son incursion en Italie, le roi Charles VIII pu apprécier les compagnies corses qui avaient été au service des ducs de Milan. Comme plus tard Louis XII en occupant Gênes, recrutera les corses qu’il distinguera au milieu des originaires de la péninsule. Enfin en 1524, une formation corse homogène est engagée sous l’appellation de « compagnie de gens de guerre à pied de la nation Corse au service du roi ». On assiste ainsi à la naissance des unités spécifiques, les compagnies ou bandes corses au service des rois de France. Ils acquirent une influence particulière, de par leur valeur, dans les armées de Florence, notamment au sein des bandes noires de Jean de Médicis, avec Sampiero et Battista da Lecca. On a cité les volontaires enmenés en France par Alfonse d'Ornano et ceux que Gênes, au nombre d'un millier, accepta qu'ils soient recrutés pour les bandes corses au service du roi de France. En 1673, Louis XIV fera pression sur Gênes pour arriver à recruter une levée de volontaires en Corse. Le régiment de Peri sera créé en France en 1674. La France compte à son service quelques 1200 soldats, sous officiers et officiers corses à partir de 1700. Ces expatriations étaient devenues habituelles sous la domination de la Sérénissime Le déclin des populations variait selon les vagues de répression génoise, enclenchées après chaque soulèvement.
Un changement important se produisit en 1663, lorsque les autorités génoises voulurent imposer dans la région l’implantation d’une colonie grecque sur le littoral. Les ressortissants grecs fuyaient l'invasion turque et Gênes proposa de les installer entre le Salognu et Paomia, dans la région vicolaise. Le 28 octobre 1663, le chef de la communauté grecque de Maina se rendit en Corse en précurseur pour reconnaitre les sites proposés par Gênes. Il s'agissait de Jean Stéphanopoli, descendant de l’empereur d’orient. Gênes décida d'installer les réfugiés grecs dans la cité de Paomia, détruite et abandonnée après plusieurs incursions barbaresques. (C.F. Cronica di Corsica de Caporossi).
La colonie grecque débarqua en 1676 en provenance du village de Vitylo dans le Péloponnèse, dans la presqu’île de Magne. (C.F.Histoire de Cargèse de Papadacci et Cronica di Corsica de Caporossi). Les terres où Gênes les installa appartenaient en partie à Letia, Rennu et Marignana et étaient utilisées pour la transhumance par les communautés des pièves de Vicu et de Sevidentru. Cette initiative génoise donna lieu à un interminable conflit qui opposa la communauté grecque aux autochtones (20).
Les grecs de Paomia furent ainsi chassés et se réfugièrent à Ajaccio à diverses reprises. Ce conflit ne pris fin qu’en 1815, après la chute de Napoléon, où les transhumants des villages de l’intérieur s’en prirent une dernière fois à la colonie grecque, que Marbeuf, après Ponte Novu et la conquête, avait installée non plus à Paomia mais dans la cité de Cargèse, créée dans ce but spécifique sur des parcelles appartenant à Rennu et dont le territoire communal, qui lui fût attribué, toujours par Marbeuf, déborde et englobe l'enclave que Letia possédait sur le littoral, entre le ruisseau des Stagnoli, près de Triu, à la sortie Ouest de Sagone, et le col de Mulidinu, à la sortie Est de Cargèse.
En 1815, pourtant, les deux communautés étaient irrémédiablement liées par les mariages mixtes, entre corses et grecs, lesquels étaient dorénavant intégrés à la communauté corse. Ce fût la dernière marche des corses de l'intérieur contre la communauté grecque.
Durant la guerre d’indépendance la communauté grecque, installée alors à la périphérie d’Ajaccio, avait mis à la disposition de l’armée nationale corse de Pascal Paoli une compagnie de quarante réguliers (21), commandée par le capitaine Stefanopoli de Commenes.
C’est le siècle des Lumières qui a apporté à la Corse sa souveraineté, grâce à la révolution de 1729(22). C'est en effet en décembre 1729 que commença la révolte de quarante années qui devait conduire au régime de Théodore de Neuhoff, puis à celui de Pascal Paoli, et ,enfin, à l'annexion française de 1768. Malgré son passé affirmé d'aventurier, Théodore de Neuhoff saura incarner le sentiment national qui se manifestait aprement chez les généraux du Règne de Corse, comme dans une large frange de la population. En 1736, débarqué à Aléria, il rallie les généraux de la nation qui se battaient contre Gênes. Ces derniers ne sont point dupes de son passé, ni de ses motivations réelles. Soucieux d'imposer la souveraineté de l'île, ils le proclame ainsi roi des corses à Alisgiani. La longue guerre contre Gênes s'intensifia durant son intermède (23) et jusqu'à l'instauration du régime imposé par Pascal Paoli, lequel su raffermir le sentiment national et le cristalliser autour de son généralat. Il su donner l’élan fédérateur à chacune des pièves de l’île.
Le généralat de Paoli est né en 1755 et, malgré une suzeraineté prétendue par la République de Gênes, les troupes de la Sérénissime furent rejetées sur les côtes où elles s'enfermèrent dans les quatre principales citadelles (Ajaccio, Bastia, Calvi, Bonifacio). Elles y vécurent dans l'insécurité permanente, jusqu'à l'arrivée des armées de Louis XV en 1764, lesquelles s'appuyèrent sur le traité de Versailles du 15 mai 1768 (24). Cette suzeraineté fut vendue à la France. Après plusieurs victoires des Corses, notamment à Borgu, le 5 octobre 1768, leur défaite à Ponte Novu mit fin à l'indépendance de l'île.
C’est durant ces années glorieuses que le village de Letia se manifesta une nouvelle fois pour la défense de la Nation, en mettant sur pieds une unité de combat au service de l’armée nationale. Il n’exista que cinquante compagnies qui furent créées en 1768 par des villages de Corse, pour constituer la Truppa Pagata ou armée régulière, auprès des deux régiments existants.
La compagnie Arrighi, du nom de son commandant, Ignaziu Arrighi, fut dirigée sur Corti où le capitaine Petru Colla, l'un des officiers de l'entourage de Paoli, la passa en revue, après qu'elle eut perçu son armement et ses équipements le 22 juin 1768. De Corti la compagnie est dirigée sur Furiani où elle est en place, le 2 juillet 1768, et intégrée au bataillon Saliceti qui doit assurer la défense de la redoute et du fort de Furiani pour empêcher toute pénétration sur l'axe Bastia - Casamozza.La compagnie reçoit l’ordre de prendre position à Furiani en avant poste, où elle stationne en juillet et août 1768 et où elle subira, au lendemain du 5 septembre, avec le reste du bataillon SALICETTI l’offensive des troupes françaises venues de Bastia qui, après avoir pris BIGUGLIA, tenteront l’encerclement de la redoute de Furiani.
SALICETTI, avec le renfort de 400 hommes envoyés par PAOLI et commandés par VINCIGUERRA, effectuera de nuit une manœuvre de retrait pour éviter l’encerclement et se repliera au-delà du Golo. Dans leur ensemble les troupes Corses refluèrent en Casinca d’où elles menèrent une contre-attaque pour reprendre la rive gauche du Golo. Au sein du bataillon SALICETTI, la compagnie ARRIGHI prit position à Lucciana dès le 14 septembre.
C’est là à Lucciana, sur les contreforts de Borgo, que la compagnie participe à l’encerclement de la garnison française de Borgo, commandée par le colonel de LUDRE. Durant le mois de septembre, les moines et les troupes corses qui tenaient le couvent Saint François de Lucciana mettent en déroute les troupes françaises venues de Bastia pour tenter de percer l'encerclement.
Le 5 octobre, Pascal PAOLI présidera à Lucciana une réunion des commandants des grandes unités, pour attaquer Borgo.
Gian Carlo SALICETTI, Carlo RAFFAELLI, le capitaine RISTORI, ami et homme de confiance de PAOLI, Ignazio ARRIGHI, Ghjacumu Dante GRIMALDI, l’abbé Ferdinandu AGOSTINI avec leurs unités totalisant 500 hommes se posteront à l’Ouest du village.
Francescu GAFFORI et GAVINI, à la tête de 500 hommes, prendront position à l’Est de Lucciana.
Clemente PAOLI, le frère du général, homme d’église et chef de guerre, tient au Sud – Ouest la route du Nebbio avec 300 hommes. Francescu SERPENTINI avec 200 des siens gardera Serra.
Nicodemu PASQUALINI avec 200 hommes se portera au dessus de Lucciana.
Selon Ambroggio ROSSI, Ghjacumu Petru ABBATUCCI a reçu l’ordre d’attaquer à Sinestra, tandis que le général PAOLI avec Francescu Antoniu GAFFORI (1744-1796) et le gros des troupes s’engagera à destra de Borgo.
ABBATUCCI arrêtera avec ses quatre cent hommes la marche des troupes de GRANDMAISON, puis menacera NARBONNE-PELET en direction de Bastia, si bien que celui-ci battra en retraite. Antoniu GENTILI, Petru COLLE sont également de la partie.
Avant de donner le signal de marcher sur Borgo, le général PAOLI harangua les troupes rassemblées à Lucciana. Il tint un discours vigoureux que relate Ambroggio ROSSI. A cheval, devant l’ensemble des unités, il rappela le souvenir de Sampiero et des grands anciens, en appela à l’honneur et à la nécessité de sauver la patrie. Il vanta l’héroïsme des combattants. Il conclut par un appel à vaincre ou à mourir libre. Tenant son arme à bout de bras, Il ponctua son harangue d’un coup de pistolet. La troupe, brandissant ses fusils, lui répondit par une longue ovation, suivie d’un long moment d’exaltation et d’enthousiasme patriotique collectif, entrecoupé par les chants de guerre et le cri de ralliement , mille fois répèté, Patria e Liberta..
Les nationaux se mirent en marche, ce jour du 5 octobre 1768, pour remplir une des plus belles pages de gloire de la nation corse.
De LUDRE était enfermé dans Borgo où CHAUVELIN dépêcha un ingénieur pour effectuer des travaux de retranchement. Il considérait devoir conserver Borgo à tous prix, espérant mener une contre offensive.
NARBONNE-PELET FRITZLAR avait été appelé en renfort d’Ajaccio. Il avait reçu pour mission de renforcer la garnison de Borgo. Il subit là une défaite.
POMMEUREUL raconte :
« On se détermina à marcher sous le feu terrible et continuel qui sortait des maisons, pour en enfoncer les portes à coup de haches : on vit monsieur de Narbonne une hache à la main, à la tête des grenadiers gravir la montagne, pénétrer dans le village et donner les premiers coups : toutes ces tentatives étaient inutiles, les portes étaient murées en dedans. » ……« On se détermina à marcher sous le feu meurtrier des maisons, pour donner la main à monsieur de Ludre, qui essaya en vain plusieurs sorties pour joindre l’armée, tout ce qui osa tenter ce passage dangereux resta sur place : les obstacles se multipliaient à chaque fois, ces difficultés menèrent à la nuit. » ……« Chauvelin fini par céder, recule et s’effondre. De Ludre, encerclé, capitule. Le général de Narbonne dira : c’est la première fois que j’ai tourné le dos à l’ennemi » (C.F. Pommeureul, Histoire de l’Île de Corse (2 volumes –Bernes 1779).
DUMOURIEZ qui participa aux guerres de Corse, écrira « Tout ce que Paoli a tenté était audacieux, bien combiné et exécuté avec finesse et précision. Il a employé dans cette guerre du génie et les corses y ont montré un courage très estimable».
La garnison de Borgo, isolée après que les troupes corses se soient emparées de la Tour qui défendait le point d’eau, se rendit et capitula le 10 octobre au matin. Les corses avaient occupé les maisons fortifiées du village et muré les portes de l’intérieur, obligeant de LUDRE à se rendre dès l’assaut général, lancé par l’armée nationale qui s’était rassemblée à Lucciana.
Les corses ont perdu au total plus de 300 hommes tués ou blessés, lors de cette première offensive française.
Letia se souvient des années durant lesquelles l’armée corse du général Pascal Paoli, chef de la nation et père de la patrie, compta dans ses rangs la compagnie Arrighi (25) dont l’encadrement et la majorité des soldats, volontaires pour servir dans la truppa pagata, c’est à dire l’armée régulière, étaient originaires de Letia. Les autres hommes de cette unité venaient des communautés environnantes ou des hameaux qui leurs étaient proches, (Arbori, Coggia, Murzo, Chigliani (hameau de Vico), Soccia, Vico). Neuf de ces soldats, sur les dix-sept que comptait la compagnie Arrighi, avaient été enrôlés sous le nom de Letia, suivi de leur prénom. Cette singulière manière de procéder était commune dans l’armée de Paoli. Ainsi, la compagnie Cervoni, l’une des compagnies du Cismonte dont nous avons pu examiner le rôle, était composée de trente trois soldats portant les noms de villages d’une même pieve de la Castagniccia.
L'Abbé Letteron qui a su, le premier, décrypter et analyser de manière rationnelle les archives du régime de Pascal Paoli, a écrit avec précision et talent sur la structure, les effectifs, l’armement et l’organisation de l’armée corse (26). L’abbé avait formulé quelques constatations critiques sur le recrutement militaire que l’on pourrait qualifier de nos jours de cantonal. D’autres commentateurs, intervenant après lui, ont mis en exergue le caractère incompatible de ce procédé avec l’unité de la nation et de son armée affirmant que la cohésion des forces de défense nécessite le brassage des hommes.
Les critiques formulées par l’abbé Letteron et ses arguments méritent un examen attentif et quelques explications. L’abbé a été le premier à évoquer l’incompatibilité avec la cohésion nationale, de la présence de neuf soldats portant le même nom sur les rôles d’une compagnie aux modestes effectifs. Mais comme cet érudit ne manquait pas d’humour, il n’a pas manqué d’indiquer, hélas sans préciser ses sources, que tous les hommes de cette compagnie voulaient être officiers… Le brassage des hommes est une nécessité pour les armées nationales, afin de renforcer leur cohésion. Il en a été ainsi après la Révolution Française lorsque la République procéda à l’amalgame des troupes recrutées selon le principe de la conscription avec les soldats de métier qui avaient servi l’ancien régime. Il faut cependant indiquer que les observations de Letteron, lorsqu’il évoque le défaut de cohésion de l’armée corse, sont faites bien après la Révolution française. L’abbé semble vouloir appliquer à la Corse des critères élaborés dans un autre contexte et dans une période bien différente de celle de Pascal Paoli et de ses paysans-soldats. Ces schémas, pourtant rationnels, ne peuvent pas toujours être appliqués à l’île où l’esprit de famille et de village sont bien enracinés et toujours bien présents.
Aussi, peut-on penser, en considération de ce qui précède et du contexte de l’époque, que le recrutement de soldats dans son propre village par le commandant d’une compagnie n’avait rien d’exceptionnel, on l’a vu, ni d’extravagant. Il effectuait certainement son choix en toute connaissance de cause en appréciant personnellement les qualités des candidats au métier des armes, qui étaient vraisemblablement nombreux. On peut par contre supposer que l’État Corse ne donnait pas à l’officier les moyens financiers de grossir les rangs de son unité. Elle aurait certainement eu des effectifs plus conséquents. De surcroît, toujours dans le contexte de l’époque, la proximité évidente de la troupe et de son chef, le lien d’allégeance qui découlait du mode de recrutement, sans évoquer les inévitables liens de parenté entre soldats et officier favorisaient la constitution d’un ensemble militaire homogène qui, s’il pérennisait le campanilisme pievan, ne portait vraisemblablement pas atteinte au sentiment patriotique.
Les années sont passées et le souvenir de cette unité issue de la pieve de Vico s’estompe dans la mémoire collective, comme s’est effacée la gravure portée sur le stylet, trouvé avec les restes d’une « catana », sur le sentier escarpé qui par les cols des Varze et de San Petru, relie au Niolo, dans le cismonte, le village de Letia, situé aux confins du Pumonte. Cette gravure sur le stylet, " ….atria ", évoque le " Pugna pro Patria ", que portait la lame de l’épée offerte à Pascal Paoli par Frédéric II de Prusse. Pugna pro Patria (combat pour la patrie) figurait également sur les bannières de Sampiero Corso lorsqu’il vint en 1564 dans le vicolais, pour relancer le mouvement national et où il se présenta en successeur de Giovan’ Paolo di Leca(27).
C’est par ce même sentier, venant du nord, que se replia après les combats du 9 mai 1769, la colonne conduite par Clemente Paoli et les éléments épars de l’armée nationale. Le 23 mai 1769, alors que Pascal Paoli était replié à Muratu, Clemente Paoli (28) est arrivé à Vicu, après s'être réfugié sur le Rotondu avec les chefs de la Nation et être passé à Corti, puis au Niolu. La colonne de Clemente Paoli comprenait quelques restes de l’armée nationale, il était accompagné de Charles Bonaparte, le père de Napoléon (Letizia séjournait à Lozzi, au Niolu, dans la maison Acquaviva), Francescu Serpentini, Ghjuvan Carlu Salicetti et le curé de Guagnu, Dumenicu Leca (circinellu) (29).
Notre association, Letia-Catena, a retrouvé divers éléments d'information qui concernent les combats ultimes des membres de notre communauté, menés à Letia face au régiment Royal-Roussillon-Cavalerie de Louis XV. Au lendemain de la bataille de Ponte Novu, avant de quitter la Corse pour l'exil, Clemente Paoli, Frère de Pasquale Paoli, tenta de réorganiser et de reconstituer l'armée nationale, autour des quelques éléments qui le suivaient dans le Vicolais avec, entre autres, des hommes de Gian Carlu Saliceti, lequel avait eu sous ses ordres, en 1768, la compagnie Arrighi, formée à Letia. Clemente Paoli et les éléments épars qui accompagnaient Saliceti pénétrèrent dans le Vicolais début Juin 1769.
Nous savons que dès le mois de juillet 1768, la compagnie Arrighi, qui avait préalablement rejoint Corti en mai 1768, pour y recevoir son armement et ses équipements, fut mise en place sur la redoute de Furiani, afin de barrer la route aux troupes françaises qui s'avançaient vers le sud. La compagnie, commandée par le capitaine Igniaziu Arrighi, faisait partie du bataillon Saliceti qui affronta les éléments avancés de l'armée de Louis XV, lesquels, placés sous le commandement du colonel Cogny, venaient de s'emparer de Biguglia. Après avoir feint une négociation, et engagé, dans la nuit du 4 septembre, un retrait stratégique vers la Casinca et au delà du Golo avec l'ensemble du bataillon Saliceti, les troupes nationales corses se réorganisèrent grâce à se retrait. Elles purent ainsi reprendre l'offensive, sous le commandement et en présence du Général Pasquale Paoli. C'est à partir de Lucciana, où elle pris position le 14 septembre 1768, que la compagnie Arrighi participa, toujours sous les ordres de Gian Carlu Saliceti et en présence du général Paoli, à l'attaque de la garnison de Borgo où le colonel de Ludre capitula le 9 octobre 1768 au matin. Les nationaux firent là plus de 900 prisonniers, emmenez à Corti. Suite à cette capitulation, le marquis de Chauvelin, commandant du corps expéditionnaire français fut rappelé à Versailles par Louis XV. Après une trêve de sept mois, les français, commandés par de Vaux, reprirent l'offensive en marchant sur Corti par Ponte Novu.
Après la bataille de Ponte Novu, Clemente Paoli et Gian Carlu Saliceti envisagèrent de faire du Vicolais un bastion de la résistance, comme au temps de Giuvan Paulu di Leca, des chefs cinarchesi et de Sampieru. Malgré les liens tissés au combat par les chefs nationaux avec les hommes de la compagnie Arrighi, la majorité des capipopuli, rassemblée à Vico et sollicitée par Clemente Paoli et Saliceti, refusa de poursuivre la lutte. La compagnie Arrighi, repliée sur Letia, opposa, avec les hommes de la communauté qui se mobilisèrent instantanément, une résistance acharnée, lors de l'arrivée des troupes de Louis XV sur le territoire Letiais. La compagnie avec l'ensemble des hommes valides de la communauté de Letia engagea le combat avec les éléments du Royal- Roussillon-Cavalerie, chargé de neutraliser la résistance des nationaux dans le village de Letia et aux abords, où se déroulèrent de violents combats. Le général Fabre Vincent Joseph Dominique, dit Fonds, y fut blessé. Il était le frère du conventionnel Fabre d'Eglantine. Né à Carcassonne le 23 janvier 1752, et sous officier ou homme du rang en 1769, il avait été enrôlé le 2 décembre 1768 au régiment Royal-Roussillon-Cavalerie, chargé de poursuivre et de réduire les résistants à l'invasion jusqu'à Letia. La maison forte qui défendait le vieux hameau médiéval à San Roccu, située près du clocher actuel, a été incendiée par les éléments du Royal-Roussillon-Cavalerie, en juin 1769. (Source : Dictionnaire biographique des généraux et amiraux de la Révolution et de l'Empire, Page 456, et livre L'armée régulière du Regnu di Corsica sous le généralat de Pascal Paoli. Exemple de la compagnie Arrighi. Editions Letia -Catena, publié à Letia, 3em trimestre 2014).
Après cet intermède dans le Vicolais, Clemente Paoli se rendit en Cinarca puis dans le Celavu où il soutînt diverses escarmouches avec les troupes françaises avant de se rendre à Portu Vecchiu pour y embarquer, le 13 juin, sur le vaisseau anglais, le Rachel, avec 340 nationaux, tandis que Pascal Paoli et son escorte empruntèrent, le même jour, le vaisseau, Vermouth.(C.F. Caporossi).
Si l’armée régulière défendait son pays contre l’envahisseur, les chefs de la nation défendaient également les lumières du siècle, les valeurs et les idéaux du père de la patrie, Pascal Paoli, codifiés dans l’Acte Fondamental, toutes préoccupations qui allaient directement à l’encontre de celles du duc de Choiseul, de celles de Chauvelin, le vaincu de Borgu, ainsi que de celles de Vaux, Maillebois et Narbonne-Fritzlar qui débarquèrent pour écraser la nation corse. Les idéaux et les valeurs de Paoli ne s’imposèrent en France que 20 ans après Ponte Novu, en 1789, avant de sombrer dans la terreur de 1793 dont le père de la Patrie corse ne voulût point pour son île.
Il organisa ainsi, à Corti en juin 1794, la Consulta generale qui adopta, par vote des délégués de chaque communauté, la constitution du Royaume de Corse (anglo-corse), acte fondamental monarchique en 12 titres et 75 articles. La communauté de Letia était représentée à la "Consulta generale" par Antonio Arrighi, notaire établi à Letia au hameau de Cugugnana (Saint Roch).
De la compagnie Arrighi de l’armée nationale Corse il ne demeure que souvenir et quelques documents épars. Selon les rôles disponibles, l’effectif de la compagnie fut le plus souvent de 17 hommes. Au sein de cette unité, se sont succédé trente-neuf sous officiers, caporaux et soldats, sous le commandement du capitanu Ignaziu Arrighi, originaire du hameau de Saint Roch de Letia et descendant du capitanu Arrigho Arrighi. Le capitaine Ignaziu Arrighi, qui assura le commandement de l’unité jusqu’à la fin des combats, eut sans discontinuer à ses côtés, comme second, le sergent Giuseppu Cipriani également originaire de Letia. Les noms des autres sous-officiers et de quelques soldats ont varié au fil du temps même si l’on note que la compagnie a été constituée, pour l’essentiel, des mêmes hommes. La compagnie a cependant compté dans ses rangs des soldats enrôlés sous les noms de Niolu, Lentu, Campuloru, Frassetto mais également Leonelli, Canellani, Alfiero, Mattei. L’effectif ne dépassa jamais le chiffre de 21 recrues que l’on peut suivre sur les rôles de la compagnia ou squadra Arrighi, établis successivement à Corti, à Furiani et à Lucciana au cours de l’année 1768 aux fins d’assurer la solde. En 1768, la compagnie Arrighi, dénommée également squadra Arrighi, selon les rôles disponibles aux archives départementales de la Corse du Sud, fût pré-positionnée successivement à Corti, Lucciana et Furiani où elle participa à divers combats sporadiques contre les troupes françaises, à la veille de la bataille de Borgo, toujours contre les Français, commandés par le marquis François Claude de Chauvelin. Cette bataille, qui se déroula du 5 au 9 octobre 1768, fut une victoire éclatante pour les troupes corses (30).Le commandant des troupes françaises, après cette défaite, fut rappelé en France. Les troupes corses étaient commandées par le général Jacques Pierre Abbatucci (31).
La compagnie Arrighi participa aux différents combats pour la défense de la nation de 1768 à 1769, date à laquelle se déroula la bataille de Ponte Novu (9 mai 1769) contre l'armée française.
De la petite compagnie Arrighi de l’armée nationale Corse il ne reste que le seul souvenir relayé par la mémoire collective et étayé par les fiches de soldes. Ainsi, si l’on parvient à suivre cette unité dans ses déplacements et dans ses cantonnements, aucune information ne nous est parvenue qui concerne son engagement dans les derniers combats menés par l’armée nationale corse. Rien, non plus, qui concerne les pertes subies au combat. Une constatation peut cependant être faite : On retrouve un Ignaziu Arrighi, âgé de 35 ans dans le premier dénombrement (recensement) effectué à Letia, dès l’annexion en 1769, par les nouvelles autorités françaises sans qu’il ne soit fait aucune mention de son éventuelle qualité. Par ailleurs, la tradition orale rapporte deux épisodes qui ont vraisemblablement un lien avec l’action de cette unité. La compagnie se dispersa après la bataille de Ponte Novu, remportée par l'armée française. Les troupes de Louis XV occupèrent Letia où une maison forte fut incendiée. La mémoire collective de ce village du nord du Pumonte relate encore les paroles d'un lamentu qui évoque le retour de la bataille de Ponte Novu de quelques soldats, ramenant aux familles de leurs camarades morts au combat leurs chevaux aux selles ensanglantées. Si le premier épisode ne peut être daté, la répression a duré longtemps et ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire…
À Letia, le souvenir de cette petite unité de l’armée nationale corse persiste ; il témoigne du caractère pérenne de la vénération pour la Nation Corse et pour les vertus civiques et guerrières incarnées par ces soldats qui la servirent honorablement dans cette cruelle tragédie.
Après la conquête française, le territoire communal a été amputé de la bande côtière qu'il possédait et qui constituait un atout majeur pour son développement. Cette enclave territoriale sur la côte constituait un parcours de transhumance en hiver mais, surtout, une terre de culture de céréales et, aujourd'hui d'activités liées au tourisme. Située entre le ruisseau des Stagnoli, près de Triu, et le col de Mulindinu, cette bande côtière, territoire letiais au sud de la vieille cité de Paomia, a été attribuée par Marbeuf (C.F. Charles Louis de Marbeuf ), grâce au plan Terrier(32), à la cité de Cargèse, qu'il fonda et favorisa après la conquête et où il construisit son château, attaqué en 1789 et rasé lors d'un soulèvement en 1793 (33). Aucune trace écrite de la captation de cette enclave côtière ne subsiste. Seule la tradition orale en fait mention, contrairement aux autres communes de montagne, proches de Letia, Renno et Evisa qui ont perdu par la loi leur enclave territoriale sur les côtes, toutes deux bien plus importantes que la portion letiaise s'étirant de Mulindinu aux Stagnoli, avec la Cunfina, la Pasqualaghia et les parcelles dépendantes. Les propriétés privées sur ce territoire, entre Mulindinu, I Stagnoli et Triu appartiennent néanmoins encore, en majorité, à des Letiais. Ces derniers ont pu continuer d'amener leurs troupeaux dans Cargèse et aux alentours, en conservant les droits coutumiers de l'Invistita. La commune de Renno a été amputée de son territoire, notamment Lozzi et Paomia réunis à la commune de Cargèse par la loi du 8 mai 1861. La commune d’Evisa et d’Ota ont perdu chacune par la loi du 18 mai 1864, une partie de leur territoire, dénommé « Terres de Sia ». Ce territoire forme désormais les trois communes d’Osani, Partinello et Serrierra. Ces rectificatifs de la propriété littorale sont intervenus après la Tractation Blondel sur les Forêts.
Les guerres de la Révolution et surtout l’Empire et plus particulièrement le deuxième Empire ont permis à de nombreux letiais d’effectuer des carrières dans les armées ou même l'administration, à l’issue notamment de la guerre de Crimée. Un reflux de la communauté de Letia et un début d’effondrement démographique sont intervenus après 1863 et se sont manifestés par une vague d’émigration et la vente forcée de propriétés ruinées, notamment à Villa, à e Chimiglièse, Santa Reparata, terres traditionnelles de culture de la vigne, au sud de l’ancien fort féodal de Catena, lorsque le Phylloxéra, insecte venu d'Amérique, a commencé à détruire les ceps. Les dégâts causés par le Phylloxéra ont été réparés grâce à l'importation des Etats Unis de ceps qui, plus épais, empêchaient les piqures d'insectes de transmettre la maladie qui avait ravagé les vignes. Les plants insulaires qui comportent plus de quarante variétés furent sauvés par les greffes pratiquées sur les ceps supports américains. Les autres causes essentielles du reflux de notre communauté et de son effondrement démographique ont été la grande guerre de 1914-1918, où soixante-dix letiais ont été tués au combat (34) et plus de deux cent d'entre eux blessés, tandis que la grippe espagnole avait emporté, durant le conflit, plus de cinquante villageois, enterrés, de par leur nombre, dans des fosses communes. Beaucoup de jeunes, après la grande guerre, ont quitté Letia pour le continent et souvent les colonies. La décolonisation a mis fin à l'émigration temporaire de ceux qui choisissaient d'effectuer une carrière courte dans les territoires d'outre-mer, avant de jouir d'une retraite au village, tout y en menant d'autres activités, liées à l'agriculture. Depuis les années soixante, ceux qui choisissent d'émigrer sur le continent ne reviennent que rarement, et ceux qui rentrent en Corse, s'installent le plus souvent dans les villes, anciennes citadelles génoises, généralement sur les côtes, devenues salubres depuis la fin des années cinquante.
Avec la paix française qui avait mis les villages de Corse à l'abri des séculaires incursions barbaresques et des turbulences du passé, la salubrité des côtes, obtenue grâce à l'épandage massif de produits D.D.T., débuté au moment de l'arrivée de l'armée américaine en 1943, puis en application des programmes de destruction des agents propagateurs de la fièvre paludéenne (anophèles et mouches), financés en 1948 par la fondation Rockefeller et, en 1950, par l'O.N.U (35), a totalement bouleversé la vie et le devenir des villages du bord de mer, désertés, et ceux de montagne, comme Letia, figés depuis l'antiquité dans un cycle qui limitait toutes activités, sinon la vie elle-même, sur les côtes proches, insalubres mais aux séjours obligatoires pour tous ceux qui exerçaient le noble métier de berger transhumant.
Cette renaissance des côtes impose obligatoirement la désertification de l'intérieur, au bénéfice des cités du bord de mer, les anciens présides (36) ou garnisons-citadelles des puissances étrangères, au climat plus clément et donc attrayants pour les populations, depuis que la malaria a été éradiquée. Ce nouveau cycle, qui a débuté dans les années cinquante, bouleverse les rythmes de vie, les traditions, les coutumes, l'exercice des métiers traditionnels et le futur de nos villages et cités de l'intérieur et de la Corse entière, laquelle risque d'y perdre son âme et ses valeurs ancestrales, si ces villages de la montagne, qui les ont forgées et qui ont fait l'histoire tragique et glorieuse de l'île, venaient à disparaitre.